
De l’anatomie au destin
Le métier de chirurgien plasticien requiert souvent un regard d’artiste car au delà de la technicité du geste, la plupart des chirurgiens plasticiens ont un idéal de beauté, une vision de la perfection du corps ou du visage. Certain pratiquent en plus de leur métier la sculpture ou la peinture, ce qui peut sembler logique, comme une transposition de leur compétence. Mais je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme le docteur Jacques Ohana qui a intégré la conscience de la beauté comme une philosophie, comme une Voie à la manière des japonais pour qui une pratique peut devenir source d’accomplissement d’un être. Une Voie quasi spirituelle. C’est en tout cas ce que j’ai ressenti en lisant ce livre.
Le texte et les images se posent comme le témoignage authentique de quelqu’un qui a dépassé le niveau des apparences et plonge son regard sur la beauté dans ses métamorphoses au fil du temps et des cultures. Le Docteur Jacques Ohana s’appuie sur les réflexions que lui a inspiré sa pratique mais également sa compréhension de la société de l’image dans laquelle nous vivons. A la manière d’un anthropologue, il scrute les expressions artistiques de la peinture ou de la sculpture pour comprendre les représentations que nous nous faisons de cet idéal auquel ses patientes lui demandent de répondre.
Il accompagne par la maitrise de son art cette exigence parfois pathologique de minceur, d’un visage idéal ou d’une perfection formelle au mépris d’un véritable équilibre ou de l’illusion du regard sur soi. Le Dr Jacques Ohana, a le regard lucide de quelqu’un qui a exploré les facettes multiples de la demande de ses patientes. Et c’est ainsi que dans ce livre, il s’appuie sur l’art contemporain, sur son évolution et ce qu’il raconte du changement de nos imaginaires pour nous démontrer cette « diagonale » qui cible un destin et trace la voie qui va du réel à une idéalisation de soi.
La chirurgie plastique, au carrefour d’un art inspiré
Le Dr Jacques Ohana pose le principe du parallèle entre chirurgie plastique et art contemporain sous l’angle de la créativité et de la matière à transformer. Il souligne les impossibles défis qui pourtant trouvent leur résolution à travers les artistes inspirés et audacieux. La chirurgie n’a cessé de faire reculer les limites du savoir faire et de la technicité, pour autant tous les chirurgiens ne se valent pas. Ceux qui ont ce « supplément d’âme » ou cette virtuosité technique ne se trouvent pas partout. Et ça aussi c’est un destin. Il est passionnant de réaliser à travers les lignes de ce livre à que point, exemples à l’appui à quel point chirurgiens et artistes semblent issus de la même lignée. Se pose alors la question de la relation à la réalité, de la puissance d’une vision authentique de soi-même et surtout de l’importance du corps que l’on est et du corps que l’on a. Quid de la beauté intérieure ? que peut faire le bistouri sur cela ?
Pour autant, et j’ose donner mon avis, la chirurgie esthétique je dis bien esthétique et non réparatrice, qui est encore un autre débat, peut rapprocher quelqu’un de sa beauté intérieure et libérer profondément une âme. C’est une question qui va au-delà de la beauté et touche à l’identité profonde de quelqu’un. C’est une question sociétale très importante. Pensons aux personnes pour qui un pseudonyme est plus réel que le nom de naissance. Ou bien ces jeunes enfants ou adolescents qui n’ont pas accompli la maturité de leur personnalité et font les démarches pour muter vers le transgenre, car disent-ils, on leur a assigné un sexe dans lequel ils ne se reconnaissent pas. Que dire des processus médicaux souvent irréversibles qui répondent à une demande sans avoir vraiment sondé la solidité de l’attente.
C’est pourquoi ce livre et la parole interrogative du Dr Jacques Ohana m’a touchée car il est immergé au quotidien dans le charnel et l’esprit des choses. C’est un fil du rasoir sur lequel il démontre sa conscience de la légitimité du geste chirurgical. Il livre à cœur ouvert ses réflexions sur le corps du futur, l’avenir de la médecine, la médiatisation anarchique, la paralysie administrative, la dérive judiciaire et les effets pervers de la mondialisation.
Jacques Ohana, humaniste de la chirurgie plastique

Le dernier chapitre du livre est constitué du récit de la vie du Dr Jacques Ohana. Cette partie donne le sens à tout ce qui précède, car on comprend mieux comment se génère un destin, comment s’accomplit un parcours. On découvre son goût aussi particulier pour une certaine littérature. Le récit est simple et je le lisais avec curiosité comme si je découvrais le « carnet de voyage » d’un explorateur. Il raconte les hasards du destin et les voies qui semblaient toutes tracées depuis le Maroc où il est né, les études de médecine, la passion et la curiosité, la volonté et la force de vie avec à chaque pas une réflexion sur ses engagements. Ce que le récit ne dit pas c’est, si ces prises de conscience ou intégrations intérieures ont été faites au présent ou a postériori. Ça je n’ai pas compris. Il n’en reste pas moins qu’il est devenu médecin, puis chirurgien, puis chirurgien plasticien. Il parle de ses maitres ou de compagnons de route : Ivo Pitanguy, Jean Sauveur Elbaz, Yves Gérard Illouz Il relate l’ouverture de son cabinet, de l’Office Surgery de l’avenue Montaigne, de la clinique Elysées Montaigne. Après toute cette réussite indéniable, il partage avec nous ses doutes, la nécessité de prendre du recul, l’observation des dérives actuelles en matière de chirurgie plastique dans le monde.
Ce livre est non seulement riche de son récit mais magnifiquement illustré de tableaux et de photographies
Lisez, découvrez et je suis certaine que vous allez apprécier.
La diagonale du corps – Dr Jacques Ohana – 29€ -Editions le Cherche Midi – www.dr-ohana.fr
